Laser MegaJoule : le rêve de la fusion contrôlée de plus en plus éloigné de la réalité

dimanche 10 février 2013

21/08/2011
par le Dr A.BEHAR

Nous avons en décembre 2010 (MGN, 25, N°4) exprimé nos doutes sur l’avenir du futur laser mégajoule (LMJ) qui se construit à BARP en Gironde, ainsi que sur sa prétention à réussir la fusion contrôlée. Nous avons aussi expliqué que ce projet dit de simulation des essais nucléaire ne simule rien du tout, mais alimente le rêve d’une nouvelle arme faite uniquement de fusion, sans la masse critique et les problèmes des bombes actuelles liés à la fission, enfin capable d’être miniaturée et qui sait, de peut être se rapprocher d’un autre bluff, la bombe à neutrons.
A l’occasion des publications récentes toutes en provenance du CEA-DAM, et au moment au l’accord franco-britannique remet à l’ordre du jour la “modernisation” des armes atomiques, il nous a paru utile de refaire un état des lieux. Rappelons d’abord qu’il ne s’agit pas tant de réaliser la fusion de deux noyaux légers, variantes de l’hydrogène ( le deutérium et le tritium), ce qui se fait déjà en laboratoire où dans l’étage “hydrogène” des bombes H, mais de répondre à cette question :

JPEG - 11.8 ko

peut-on déclancher à volonté la fusion nucléaire, surtout contrôler la réaction, et peut-on l’arrêter ? Il nous semble qu’il s’agit avant tout d’une question de physique fondamentale, totalement liée à la question de la physique des “plasmas chauds”(avec une température de l’ordre de 100 millions de degrés) c’est à dire à ce curieux état de la matière où les noyaux atomiques sont séparés de leurs électrons, sous forme d’une soupe d’ions particulièrement instable, inhomogène, électriquement neutre et non linéaire dans le temps.
Curieusement, ce qui domine chez tous les protagonistes de la fusion contrôlée, par confinement magnétique pour les tokamaks et pour le futur ITER, ou par confinement inertiel pour le LMJ, c’est la réponse technologique. Il s’en suit une course effrénée pour remplir les conditions obligatoires nécessaires pour espérer une fusion en termes de densité, de température et de confinement du plasma chaud. Dit en terme simple, l’objectif est de produire plus d’énergie que celle qui est fournie au plasma. Pour l’instant c’est le contraire qui existe, exemple, dans le JET (Joint European Tories) on a réussit à produire 3 MW, mais on en a dépensé 70 MW !
Dans cette option purement technique, où en sont les chercheurs du CEA ? Ont-ils progressé ?

LES VOIES TECHNOLOGIQUES VERS LE LMJ :

Dans les études préalables nécessaires pour espérer installer efficacement le LMJ, nous avions isolé 5 critères à satisfaire avant d’espérer des résultats réels en faveur d’une fusion inertielle contrôlée :

1- . La répartition spatiale des faisceaux laser :

Le critère exigé est une répartition spatiale symétrique des futurs 240 faisceaux laser dans la bille qui contiendra le plasma chaud. Il s’agit en clair de maîtriser la propagation des faisceaux lasers dans le plasma. Jusqu’à présent, des instabilités dites paramétriques détruisent la symétrie d’irradiation, avec des diffusions erratiques allant jusqu’à la rétro diffusion, ce qui diminue de façon notable l’énergie efficace transmise à la paroi. Des progrès existent dans la compréhension du phénomène, S.LAFFITE et P.LOISEAU (1) proposent une paroi évoquant un ballon de rugby de la cavité d’ignition contenant la capsule de deutérium tritium, ce qui diminue les instabilités en question. Par ailleurs, on peut espérer une diminution des instabilités en augmentant la surface des “tâches focales”, des lasers (comme tout rayon de lumière, le faisceau laser éclaire une surface déterminée en fonction de sa focale, comme pour nos appareils photos).
Malheureusement, dans ce domaine aussi, la relation entre la longueur des parcours du laser en fonction de la surface de la tâche focale est non linéaire, avec une limite de surface à 2 millimètre carré. Des progrès indiscutables donc, mais pas encore décisifs.

2- Le transfert d’énergie par interaction laser plasma, avec quelles pertes acceptables ?

Cette question est en partie liée au précèdent critère puisque la raison première de ces pertes d’énergie est liée aux instabilités dites paramétriques. Toute onde électromagnétique, par exemple le soleil, dépose de l’énergie. Pour nous cela se manifeste par de la chaleur pendant l’exposition, et finalement par le coup de soleil. Ici le décalage en fréquence étale cette transmission d’énergie vers les ondes électroniques apparaissant dans le plasma (les cibles sont ici des électrons). Le résultat est une non linéarité microscopique et une densité électronique imprévisible dans le laps de temps du flash de laser. Jusqu’à présent, les prévisionnistes minimisaient cette perte d’énergie. D.BENISTI et al (2) ont démontré que cette perturbation est bien plus importante que ne le suppose le modèle classique.
Par exemple, la réflectivité est un moyen de juger le rôle des perturbations puisqu’il s’agit de la partie de l’énergie du laser renvoyée au lieu d’être absorbée par le milieu. Cette onde de réflexion, mesurée sur le dispositif expérimental américain “NIF” atteint 40% de l’énergie des faisceaux lasers au lieu des 0,5% prévue par la théorie ! on peut difficilement dire qu’il s’agit là d’une nouvelle encourageante, le rôle majeur des perturbations des rayons laser devient un obstacle sur la voie de la réalisation du montage LMJ.

3- Le taux de conversion laser/rayons X trop aléatoire.
Il s’agit finalement dans tout ce montage d’utiliser l’énergie des lasers pour arracher des électrons de la paroi de la cible et générer ainsi des rayons X capable de comprimer la capsule de deutérium tritium dans des conditions de densité et de température telles que la réaction de fusion thermonucléaire puisse s’amorcer et s’auto entretenir. Le problème reste le faible rendement de la conversion de l’énergie stockée en rayons X utiles, il se situe entre 10 à 25%.
La construction du “SPHYNX”, générateur de rayons X de forte intensité, et les tests expérimentaux ont permis de mieux comprendre le partage entre les rayons homogènes recherchés et les instabilités partiellement dues aux impuretés. H.CALAMI et al (3) ont obtenu une augmentation de la puissance rayonnée d’un facteur 7. Les implosions axialement homogènes sont possibles mais il reste beaucoup à faire.

4- La déviation des faisceaux laser par le plasma empêche la symétrie d’implosion et donc le phénomène physique de fusion. Le défi technique consiste à se rapprocher le plus possible d’une onde plane avec une dispersion des ondes secondaires la plus faible possible. L’idée est excellente, mais son application appelée “conversion de fréquence” entraîne une détérioration rapide des cristaux sur un mode non linéaire. S.REYNIÉ et al (4) ont permis de mieux comprendre les mécanismes physiques de l’endommagement laser. Le rôle des défauts précurseurs sur la structure électronique du cristal “KDP” est souligné, mais pas de solution pratique à ce problème : Si le moindre flash laser détruit les cristaux, ce ne sera pas facile de fonctionner en continu !

5- L’instabilité hydrodynamique du plasma chaud.

Cet obstacle est inéluctable quelque soit la méthode de création du plasma chaud, puisque le mélange est en soit inhomogène et incertain entre les noyaux et les ions. Pour surmonter cette situation deux voies différentes ont été empruntées :
a)L’étude des étapes de la compression d’une bille de deutérium tritium du solide cryogénique jusqu’au plasma très dense et très chaud. L.CAILLABET et al(5) ont élaboré des équations successives d’états de l’hydrogène et le moyen de valider les approximations du calcul, puisque la description théorique est trop difficile.
b) Une modélisation plus sophistiquée de la statistique des configurations du plasma de mélange avec modélisation de “l’opacité” ou de “la capacité d’émission” , en proposant un mode de calcul différent pour les rayons lasers rejetés par le plasma versus ceux qui sont absorbés par lui.
Dans les 2 cas on ne discerne pas de progrès décisifs dans la maîtrise des instabilités dite hydrodynamiques du plasma chaud.

JPEG - 13.7 ko

laser_rayons X

LA VOIE SCIENTIFIQUE EN PHYSIQUE FONDAMENTALE DES PLASMAS. Rappelons ici l’absence de connaissances fondamentales soulignée par le haut commissaire du CEA en 2001, dans son rapport à l’académie des sciences :
“La fission a pu se développer grâce à la linéarité des phénomènes… Par contre la fusion thermo nucléaire est un phénomène fondamentalement non linéaire, et ceci vis à vis de toutes les fonctions physiques en jeu. Dit simplement, ce qui ce passe dans le magma du plasma est imprévisible. Elle ne peut être comptée parmi les sources industrielles d’énergie, il s’agit plutôt d’un sujet d’étude physique important. Ce point de vue prophétique est pourtant systématiquement oublié avec une approche technologique qui coûte très cher, et qui ne semble pas très productive pour autant.
Et voici qu’un physicien du CEA-DAM, G.GOSSELIN (6) vient d’apporter une confirmation éclatante des propos du haut commissaire, dix après :
“Traditionnellement les données nucléaires considèrent une interaction entre une particule incidente et un noyau qui se déroule indépendamment de l’environnement où se trouve le noyau. Cette approximation est le plus souvent pleinement justifiée. Toutefois elle se trouve mise à mal si le noyau se trouve dans un plasma”. Et, “l’effet de la présence du noyau au sein du plasma ne se limite pas à modifier sa désexcitation… Des phénomènes physiques nouveaux (qui ne se produisent pas sur un noyau isolé) peuvent modifier sa désexcitation ou même l’exciter par interaction avec les éléments constitutifs du plasma”. Une nouvelle physique fondamentale est nécessaire.

JPEG - 8.3 ko

cible du LMJ
Ainsi, la physique du plasma et donc la fusion contrôlée rencontre les mêmes phénomènes identifiés en radiobiologie sous le nom de “bystander effect” ou EFFET DE PROXIMITÉ. Les effets des rayons sur une cellule isolée ne permettent pas de comprendre ce qui se passe si la cellule appartient à un tissu ou à un réseau. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, il existe un phénomène nouveau sous forme d’un signal délétère vers d’autres cellules, alors qu’aucun dépôt d’énergie n’a eu lieu pour elles. C’est ainsi qu’il a fallu construire une nouvelle radiobiologie comprenant “l’instabilité génomique” pour comprendre la genèse des maladies radio induites. Il a fallu aussi construire cette nouvelle radiobiologie en acceptant l’absence de tout lien avec le dépôt d’énergie initial dans le processus pathogène.
L’instabilité et la non linéarité des plasmas chauds comme le phénomène des points chauds pour la fusion nucléaire sont peut-être liés. Pour le comprendre, la prolifération des moyens technologiques ne semble pas adéquate, même si l’affichage de “la fusion contrôlée” et de la “simulation suprême de l’efficacité des armes nucléaires” semblent porteur pour l’image de la recherche militaire. Sans création d’une nouvelle physique théorique, assez éloignée de tout ce fracas technique, la probabilité de réussite du LMJ reste faible.

La lecture de cet article peut être difficile pour certains de nos lecteurs, malgré les efforts de vulgarisation de l’auteur. Il nous a cependant paru nécessaire de le publier dans le contexte actuel de la “modernisation” des armes nucléaires françaises. Le LMJ est aussi un rideau de fumée qui empêche de voir la réalité de celle-ci, et sa réalisation en catimini à VALDUC par exemple.
BIBLIOGRAPHIE

1- LAFFITE S, LOISEAU P. Design of an ignition target for the laser mega joule, initiating parametric instabilities. Phys. Plasmas 2010, 17, 102-104
2- BENISTI D et al. Non linear group velocity of an electron plasma wave. Phys. Plasma, 2010, 17, 301
3- CALAMY H, et al. Use of microsecond current prepulse for dramatic improvements of wire array Z-pinch implosion. Phys. Plasmas, 2008, 15, 701
4- REYNIE S, DUCHATEAU G, NATOLI JY, LAMAIGNERE L. Pump pump experiment in KH2PO4 crystals : coupling two different wavelengths to identify the laser induced damage mechanisms in the nanosecond regime. Appl.Phys. Lett. 2010, 96, 121
5- CAILLABET L, MAZEVET P, LOUBEYRE P. Multiphase equation of state of hydrogen from ab initio calculations. Phys. Rev. 2011, 83,94-101.
6- GOSSELIN G. Le noyau dans le plasma : vers des données nucléaires d’un nouveau type. Chocs, 2011, 40, 11

Publié dans Armes nucléaires, technologie nucléaire

Un commentaire à to “Laser MegaJoule : le rêve de la fusion contrôlée de plus en plus éloigné de la réalité”

Gabriel :
21/02/2012 at

Absolument d’accord avec votre analyse !En fait,la réaction D+T>« < »He+"chaleur"’est semblable à une réaction de combustion ’chimique classique dans laquelle 2 "corps" fusionnent en ’libérent’ la quantitée de mouvement dont ils disposaient individuellement a l’état libre,et la modélisation en est la même en fonction des paramétres définissant le mélange innitial : solide,liquide,gazeux,topologie réciproque des réactants,présence ou non de catalyseurs augmentant la probabilité de chocs efficaces(contact entre élements binaires et ternaires avec orientations réciproques etvitesses,rotations,translations,compatibles pour que puisse se former une particule quaternaire,inertiellement plus stable (M)la 5ieme,(M> et V que celle récupérable !Alors,si vous y croyez,bon courage !et,méfiez vous,il y aura toujours quelque psychopate parano,avide de puissance auto-salvatrice qui essaiera,comme cela c’est toujours produit j’usqu’à ce jour, de s’octroyer le monopole d’utilisation de ce jouet dangereux.Vous pouvez diffuser ce commentaire s’il vous semble pertinent.


Navigation

Articles de la rubrique

Agenda

<<

2024

 

<<

Mars

 

Aujourd'hui

LuMaMeJeVeSaDi
26272829123
45678910
11121314151617
18192021222324
25262728293031
Aucun évènement à venir les 6 prochains mois